Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582)

Sainte Thérèse parle de trois religieux qui entrèrent au ciel tout de suite après leur mort sans passer par le purgatoire…
Du second, un Carme, elle raconte qu’assistant à la messe, plongée dans un profond recueillement, elle vit ce Père rendre l’esprit et monter au ciel sans entrer au purgatoire.

J’ai appris depuis, écrit-elle, qu’il était mort à l’heure même où j’avais eu cette vision. Je fus fort étonnée de ce qu’il n’avait pas passé par le purgatoire ; mais il me fut dit, qu’ayant été très fidèle observateur de sa Règle, il avait joui de la grâce accordée à l’Ordre par des bulles particulières touchant les peines du purgatoire. J’ignore à quelle fin cela me fut dit. Ce fut sans doute pour me faire comprendre que ce n’est pas l’habit qui fait le religieux, mais que pour jouir des biens d’un état aussi parfait, il faut en accomplir fidèlement tous les devoirs…
Parmi tant d’âmes dont le sort m’a été révélé, ajoute la sainte, je n’en ai vu que trois aller au ciel sans passer par le purgatoire…

In Saint Thérèse, Livre de sa Vie, chap. XXXVIII.

Don Bernardin de Mendoza, frère de l’évêque d’Avila, poussé par son amour pour la Sainte Vierge, offrit à sainte Thérèse une de ses maisons pour la fondation d’un couvent de Carmélites aux environs de Valladolid. L’offre fut acceptée. Or il arriva que deux mois après Don Bernardin fut pris d’un malaise subit qui lui enleva l’usage de la parole. Il ne put se confesser que par signes. Quelques jours après il expirait dans une localité fort éloignée de l’endroit où se trouvait alors sainte Thérèse.

Le divin Maître, ajoute la sainte, me dit : « Ma fille, son salut a été en grand danger, mais j’ai eu compassion de lui, et lui ai fait miséricorde en considérant le service qu’il a rendu à ma Mère en donnant cette maison pour y établir un monastère de son Ordre. Néanmoins il ne sortira du purgatoire qu’à la première messe qui sera dite dans ce nouveau couvent .»

A partir de ce jour, poursuit la sainte, les grandes souffrances de cette âme furent sans cesse présentes à mon esprit ; aussi malgré tout mon désir de la fondation de Tolède, j’y renonçai pour lors, et sans perdre un moment je travaillai de tout mon pouvoir à celle de Valladolid.

L’exécution de mon dessein ne put être aussi prompte que je le souhaitais ; je fus contrainte de m’arrêter durant quelques jours au monastère de Saint-Joseph d’Avila, dont j’étais prieure, et ensuite à Saint-Joseph de Medina del Campo, qui se trouvait sur mon chemin. Dans ce dernier monastère, Notre-Seigneur me dit un jour dans l’oraison : « Hâte-toi, car cette âme souffre beaucoup. » Dès ce jour, rien ne put me retenir. Quoique dépourvue de bien des choses nécessaires, je me mis en route et j’arrivai à Valladolid le jour de la fête de saint Laurent. Lorsque je vis la maison où nous devions habiter, j’éprouvai un sensible déplaisir : si le jardin était beau et agréable, la maison, située sur le bord de la rivière, était malsaine et il était impossible de la rendre habitable pour des religieuses à moins d’y faire de très grandes dépenses. Arrivant fatiguée du voyage, il fallut aller entendre la messe dans un monastère de notre Ordre situé à l’entrée de la ville ; c’était si loin que la longueur du chemin redoubla ma peine. Néanmoins, je n’en témoignai rien à mes compagnes, de peur de les décourager. Au milieu de ma faiblesse, ce que Notre-Seigneur m’avait dit me soutenait, et ma confiance en lui me faisait espérer qu’il remédierait à tout. A mon retour, j’envoyai secrètement chercher des ouvriers et, à l’aide de quelques cloisons que je leur fis élever, j’improvisai des cellules où nous pouvions être. recueillies. Un des deux religieux qui voulait embrasser la réforme et Julien d’Avila étaient avec nous. Le premier s’informait de notre manière de vivre ; le second s’occupait d’obtenir par écrit, du prélat, la permission de fonder ; car à mon arrivée il ne nous avait donné que de bonnes espérances. Cela ne put se faire de sitôt, et le dimanche étant venu avant que l’autorisation nous fût accordée, on nous permit seulement de faire dire la messe dans le lieu destiné à devenir l’église du monastère.

Le saint Sacrifice y fut donc offert. J’étais en ce moment fort éloignée de songer que la prédiction de Notre-Seigneur touchant ce gentilhomme dût s’accomplir alors ; j’étais au contraire persuadée que par ces paroles : « à la première messe », le divin Maître désignait celle où l’on mettrait le Très Saint-Sacrement dans notre église. Au moment de la communion, le prêtre s’avança vers nous, tenant le saint ciboire en main. J’approchai, et à l’instant même où il me donnait la sainte hostie, ce gentilhomme m’apparut avec un visage tout resplendissant, l’allégresse peinte sur ses traits et les mains jointes, il me remercia de ce que j’avais fait pour le tirer du purgatoire ; et je le vis ensuite monter au ciel.

Je l’avouerai : la première fois que j’entendis de la bouche du divin Maître qu’il était en voie de salut, j’étais loin d’une si consolante pensée ; je ressentais, au contraire, une peine très vive ; il me semblait qu’après la vie qu’il avait menée, il eût fallu un autre genre de mort. Si ses vertus et ses bonnes oeuvres me rassuraient, je ne laissais pas de craindre, parce qu’il était engagé dans les choses du monde. Voici néanmoins un fait qui est bien en sa faveur : il avait dit à mes compagnes qu’il songeait très sérieusement à la mort. Oh ! qu’un service, quel qu’il soit, rendu à la très Sainte Vierge est une grande chose ! Qui dira combien Notre-Seigneur l’agrée, et combien sa miséricorde est grande ! Qu’il soit béni et loué à jamais de ce qu’il imprime à la bassesse, au faible mérite de nos bonnes oeuvres, un tel caractère de grandeur, et de ce qu’il leur réserve pour salaire une vie et une gloire éternelle !

In Sainte Thérèse, Livre des Fondations.