Sainte Catherine de Gênes (1447-1510)

Sainte Catherine de Gênes (1447-1510) a été gratifiée d’une expérience mystique par laquelle il lui fut donné d’éprouver dans sa chair la souffrance des âmes du purgatoire mais surtout d’en comprendre, autant que faire se peut, la nature et les raisons.

Les âmes qui sont en purgatoire ne peuvent vouloir ni désirer autre chose que d’y demeurer paisiblement parce qu’elles savent qu’elles y sont par un ordre très équitable de la justice de Dieu. Il leur est impossible, dans cet état, de faire aucun retour sur elles-mêmes, comme de dire : « J’ai fait tel ou tel péché pour lequel je souffre maintenant ici : je voudrais ne l’avoir pas commis parce que je jouirais à présent des délices du paradis. » Elles ne peuvent non plus dire : « Celui-ci sortira d’ici avant moi, ou : j’en sortirai plus tôt que lui. » Elles sont tellement abîmées en Dieu qu’elles ne peuvent ni en bien ni en mal former la moindre pensée d’elles-mêmes ou des autres qui puissent ajouter à leur tourment. Elles ne s’occupent qu’à considérer avec quelle bonté Dieu se conduit envers les hommes pour les attirer à lui. Elles ne peuvent ni vouloir ni désirer autre chose que l’accomplissement de la volonté de Dieu, qui est lui-même cette pure charité de laquelle elles ne peuvent s’éloigner. (chap. I)

Les âmes endurent dans ces lieux des tourments si grands et si terribles qu’il n’y a ni langue pour les exprimer ni entendement pour en concevoir la moindre étincelle. Il faut que Dieu, par une faveur particulière, les fasse comprendre à une âme, comme il a plu à son extrême bonté de le faire à la mienne. J’avoue aussi que cette vue qu’il a plu à Dieu de m’en donner ne m’est jamais sortie de l’esprit. J’en ai toujours conservé la mémoire présente à mes yeux, et si je puis bien en dire ici quelque chose, cependant personne ne comprendra parfaitement, que celui à qui Dieu daignera faire la même grâce qu’il m’a faite. (chap. II)

L’âme est tellement embrasée du désir qu’elle a de posséder Dieu et d’être transformée en lui, que c’est en cela que consiste son principal tourment en purgatoire. Elle ne considère pas toutes ces pensées ni toutes ces flammes qui l’environnent : ce qui la tourmente et qui la brûle davantage, c’est cette ardeur violente qu’elle a de jouir de Dieu, sans pouvoir le satisfaire.

Il est incroyable quelle est la conformité de Dieu avec l’âme. Elle est telle que lorsque Dieu voit cette âme retourner à la pureté dans laquelle il l’a créée, il lui lance les rayons de son amour, de façon que cette âme est tellement transformée en Dieu qu’elle se voit n’être qu’une même chose avec lui. Et il continue toujours de l’attirer et de l’embraser du feu de son amour, jusqu’à ce qu’il l’ait rétablie dans sa première pureté. L’âme, de son côté, se sentant si intimement attirée par son Dieu, est toute pénétrée d’amour et se fond dans l’ardeur de ce feu divin. Et comme elle ne peut suivre cet attrait de Dieu, dont le moindre retard lui est si pénible, et que son instinct naturel et l’ardent désir qu’elle a d’aller à lui se trouvent empêchés, elle sent alors une peine qui est proprement la peine du purgatoire. (chap. II)

Quelle grande chose que ce purgatoire ! Pour moi, je l’avoue, je ne puis rien dire ni rien concevoir qui en approche. J’entrevois seulement que les peines qu’on y endure sont aussi sensibles que les peines de l’enfer. (chap. VIII)

Je ne crois pas qu’après la félicité des saints du paradis il puisse exister une joie comparable à celle des âmes du purgatoire. Une incessante communication de Dieu rend de jour en jour leur joie plus vive, et cette communication devient de plus en plus intime, à mesure qu’elle consume dans ces âmes l’obstacle qu’elle y trouve. Cet obstacle n’est pas autre chose que la rouille ou les restes du feu. Comme le feu du purgatoire va sans cesse le consumant, l’âme s’ouvre de plus en plus à la communication de Dieu. J’explique ma pensée par une comparaison : exposez au soleil un cristal couvert d’un épais voile, il ne peut recevoir les rayons ; la faute n’en est point au soleil qui ne cesse de briller, mais au voile qui intercepte ses rayons. Que cette couverture vienne peu à peu à se consumer, le cristal successivement découvert recevra de plus en plus les rayons du soleil, et, quand l’obstacle aura entièrement disparu, le cristal sera tout entier pénétré par le soleil. Ainsi en est-il des âmes du purgatoire. La rouille du péché est le voile qui intercepte pour elles les rayons du vrai soleil, qui est Dieu. Le feu va consumant de jour en jour cette rouille, et, à mesure qu’elle est consumée, les âmes réfléchissent de plus en plus la lumière de leur vivant soleil. Leur joie augmente à mesure que la rouille diminue et qu’elles sont plus exposées aux divins rayons. Ainsi l’un va toujours en augmentant et l’autre en diminuant, jusqu’à ce que le temps de l’épreuve soit accompli. Qu’on ne croie pas cependant que la peine diminue : ce qui diminue c’est uniquement le temps de sa durée. Mais dans l’intime de leur volonté, ces âmes ne pourraient jamais se résoudre à dire que ces peines sont des peines, tant elles sont heureuses de la disposition de Dieu à laquelle leur volonté est unie par le lien de la pure charité. (chap. II)

Tu vois encore que ce Dieu d’amour, ce Dieu infiniment aimant, lance à l’âme certains rayons, certains éclairs embrasés qui sont si pénétrants qu’ils anéantiraient non seulement le corps, mais l’âme même, si c’était possible (ici-bas). Ces rayons et ces éclairs, dardés par l’amour infini de Dieu, produisent deux effets : ils purifient et ils anéantissent. Voyez l’or, plus il reste au creuset, plus il se purifie ; et on peut le purifier de telle sorte que tout ce qu’il a d’impur et d’étranger se trouve anéanti. L’amour de Dieu fait dans l’âme ce que fait le feu dans les choses matérielles : plus elle reste dans ce divin brasier, plus elle se purifie. Ce brasier, la purifiant toujours davantage, finit par anéantir en elle tout ce qu’elle a d’imperfections et de taches et la laisse en Dieu entièrement purifiée. Lorsque l’or a passé par le feu et qu’il a acquis le dernier degré de pureté qu’on puisse lui donner, il ne se consume plus et ne diminue plus jamais, quelque grand que puisse être le feu où on l’affine, parce qu’il ne se trouve plus alors aucun mélange de corps impurs et étrangers sur lesquels le feu puisse agir. Ainsi en est-il de l’âme qui se purifie dans le feu de l’amour divin. Dieu l’y retient jusqu’à ce que ce feu ait consumé en elle toute imperfection et lui ait communiqué le degré de perfection qu’il lui destine de toute éternité. Et quand Dieu, de degré en degré, a enfin élevé jusqu’à lui cette âme purifiée, elle demeure désormais impassible, parce qu’il n’y a plus rien en elle que le feu puisse consumer; et supposé que dans cet état de pureté parfaite elle fût encore retenue dans le feu, ce feu, loin de lui être pénible, serait plutôt un feu de divin Amour et comme la vie éternelle sans ombre de souffrances. (chap. X)

Les âmes du purgatoire ont une entière soumission à la volonté de Dieu : elles sont établies dans une telle conformité à sa justice et à ses ordres que, n’ayant ni choix, ni vue, ni volonté propre, elles ne choisissent, ne voient et ne veulent que ce qui plaît à Dieu. C’est pourquoi ces âmes reçoivent avec autant de joie les effets de sa justice que ceux de sa miséricorde. (chap. XIII)

Ce moyen dont Dieu se sert pour purifier les âmes qui sont dans le purgatoire est le même que j’éprouve en moi depuis deux ans, et je le sens tous les jours et le vois clairement de plus en plus. Mon âme est dans mon corps, comme dans un purgatoire semblable à celui que Dieu a ordonné pour des âmes…

Le seul retard de la vue et de la possession de Dieu paraît si pénible aux saintes âmes qu’il se forme en elles, par cela même, comme un feu qui les dévore.

Pour comprendre en quelque façon avec quelle ardeur les âmes qui sont dans le purgatoire désirent de voir Dieu, imaginons qu’il n’y ait dans le monde qu’un seul pain, et que ce pain ait la vertu d’apaiser par sa seule vue la faim de toutes les créatures. Si un homme en bonne santé, dévoré par la faim, savait qu’il n’y a que ce pain qui le puisse rassasier et s’il s’en voyait néanmoins privé, n’est-il pas vrai que sa faim augmenterait toujours, et lui deviendrait même d’autant plus intolérable qu’il approcherait de ce pain de plus près sans pouvoir y toucher ?… Les âmes du purgatoire ont cette faim ardente de se rassasier de ce pain céleste qui est Dieu même et notre doux Sauveur. (chap. VI)